Bi-polarité article blog de Rafaele Rivaes

 Article du Monde

Bipolaire, elle signe le compromis de vente en phase euphorique

 

 

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© Mary Anne Smith/Ikon Images / Photononstop

Le 30 septembre 2014, M. X confie à la société Century 21 le mandat de vente d’un appartement situé à Varennes-Vauzelles, dans la Nièvre. Mme Y manifeste son intérêt. Le 14 octobre 2014, elle signe le compromis de vente et verse un acompte de 1000 euros. Au jour fixé pour la réitération de l’acte, elle ne se présente pas chez le notaire.
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Le 3 février 2015, M. X et Century 21 lui demandent, par courrier recommandé, de leur payer, respectivement, une clause pénale de 6500  euros et une commission de 6000 euros, comme prévu dans le compromis de vente.
Faute de réponse positive, ils assignent Mme Y devant le tribunal de grande instance (TGI) de Nevers. Le 13 janvier 2017, celui-ci prononce la nullité du compromis de vente, déboute les demandeurs et ordonne la restitution de l’acompte. Il constate en effet que Mme Y a consulté un psychiatre, le Dr Ψ,  au lendemain de la signature du compromis de vente, soit le 15 octobre 2014. Le Dr Ψ a établi un certificat dans lequel il indique que Mme Y « présente des symptômes évocateurs d’un trouble bipolaire ». Le 25 octobre 2014, le Dr Ψ a saisi le procureur de la République de Nevers, pour demander le placement immédiat de Mme Y sous sauvegarde de justice. Le TGI considère que le compromis de vente a eu lieu dans une phase d’euphorie liée à la maladie maniaco-dépressive.
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« Présomption irréfragable »
M. X et Century 21 font appel. Ils soutiennent que Mme Y était lucide lors de la signature du compromis de vente. Elle présidait alors des activités humanitaires, qui nécessitaient la pleine possession de ses facultés, et y déployait une énergie considérable. En outre, le certificat médical du Dr Ψ mentionne « des symptômes évoquant les troubles bipolaires », et non un dépistage de troubles bipolaires. Enfin, la cohérence du contenu du compromis de vente témoignerait de la lucidité de Mme Y.
Mme Y affirme pour sa part que la demande de placement sous sauvegarde de justice par le psychiatre a eu pour conséquence de faire naître une présomption irréfragable d’altération de ses facultés mentales. Elle explique que sa santé mentale a été altérée à cause du comportement menaçant d’une voisine. Elle ajoute que, dès le 29 septembre 2014, soit avant la signature du compromis de vente, son médecin traitant, la présentant comme « une personnalité difficile à cerner avec une nervosité extrême et un débit de paroles accentué et [présentant des ] troubles du sommeil », avait sollicité l’avis d’un psychiatre, concernant sa pathologie.  Le lendemain de la signature de l’acte, le Dr Ψ lui a prescrit de la Depakote et du Xanax, le premier de ces médicaments entrant dans le traitement d’épisodes maniaques, et le second visant à traiter les manifestations anxieuses  sévères.
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Intervalle de lucidité ?
La cour d’appel de Bourges, qui statue le 19 avril 2018, rappelle que, selon les dispositions de l’article 414-1 du code civil, « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit » et que  « c’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».  Elle juge que Mme Y prouve l’existence de ce trouble mental : compte tenu de la chronologie des événements,  « la signature du compromis de vente est intervenue alors que Mme Y était dans une phase d’euphorie caractéristique d’une altération de ses facultés mentales et dans l’optique d’échapper à une voisine malveillante ».
La cour d’appel juge que le vendeur et Century 21 ne démontrent pas que Mme Y aurait bénéficié d’un intervalle de lucidité lui permettant de contracter valablement. En effet l’activité débordante de Mme Y est « précisément caractéristique de la phase maniaque ou euphorique de la maladie bipolaire et n’est nullement inconciliable avec elle ». En outre, la signature du compromis de vente, formulaire-type complété de façon manuscrite par le mandataire (l’agent immobilier), comportant pour seule mention personnelle le montant des revenus de Mme Y et les coordonnées de sa banque, « ne peut suffire à caractériser la pleine possession par l’acquéreur de ses capacités intellectuelles ou mentales ». La cour d’appel confirme donc le jugement.

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