TRIBUNE:

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/03/15/troubles-psychiques-la-prise-en-charge-precoce-des-15-25-ans-est-une-urgence_6165515_1650684.html

Psychiatres du réseau Transition et associations appellent, dans une tribune au « Monde », à soutenir le développement de services de détection et d’intervention précoce pour les adolescents et les jeunes adultes.

Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 09h09 Temps de Lecture 4 min.

Le drame récent d’un adolescent agressant mortellement une professeure en pleine classe a mis de nouveau la psychiatrie sous un éclairage cru et brutal. Il ne s’agit pas de commenter ce cas singulier, ce pour quoi nous n’avons ni les éléments suffisants ni les prérogatives. Mais il nous donne l’occasion de constater les travers de la communication sur la santé mentale des jeunes (et la stigmatisation qu’ils font naître) : un diagnostic trop vite avancé sur les plateaux (« bouffée délirante aiguë » entraînant un geste « imprévisible ») et ensuite révisé, induisant une confusion entre préméditation et possibles symptômes d’alerte (certains camarades auraient remarqué un comportement inhabituel les jours précédents).

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Ni fatalisme ni réponse légale ne doivent nous satisfaire : ils témoignent du fait que nous arrivons « trop tard », sans avoir pu éviter la perte d’une vie, l’anéantissement de l’avenir d’un jeune et le traumatisme d’une classe, d’un établissement scolaire entier, sans oublier la douleur des deux familles.

Ce qui n’a pas été dit, c’est que c’est entre 15 et 25 ans qu’apparaissent le plus souvent les troubles psychiatriques de l’adulte à venir, et que ces troubles sont rarement imprévisibles : dans les trois quarts des cas, il existe des signes avant-coureurs (tentative de suicide, repli, changement de comportement). Ces signaux faibles pourraient permettre de donner l’alerte. Mais la réalité du terrain est complexe : où trouver le praticien qui a à la fois la compétence et la disponibilité ? Trop souvent, en effet, les signaux d’alerte ne sont pas identifiés, ou pas pris en compte, et ce n’est que lorsqu’il y a crise, accident ou troubles massifs, que des soins sont mis en place, souvent par le biais des services d’urgence.

Cette situation n’est pas acceptable, sachant que les symptômes subtils peuvent être repérés en amont par des évaluations spécifiques et que, comme dans les autres domaines de la médecine, agir tôt limite les complications et la mortalité. Comment faciliter l’accès aux soins et faire que ceux qui côtoient les jeunes, à commencer par leurs pairs et leurs familles, puissent alerter et orienter rapidement vers des lieux adaptés ? La lutte contre la stigmatisation et les idées reçues est une étape indispensable : sensibiliser, informer le public, y compris les jeunes, et former les professionnels de première ligne.

« La lutte contre la stigmatisation et les idées reçues est une étape indispensable : sensibiliser, informer le public, y compris les jeunes, et former les professionnels de première ligne »

Mais, ensuite, vers qui orienter ces jeunes ? Il faut pouvoir proposer des ressources spécialisées, adaptées à l’âge et à la situation (sévérité, contexte, troubles associés), qui offrent un accès facile à une évaluation rapide et complète (médicale, psychique, sociale) non stigmatisante et, si nécessaire, une prise en charge dans l’environnement du jeune.

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De nombreux pays ont mis en place des programmes nationaux de détection et d’intervention précoce, qui reposent sur une prise en charge rapide et personnalisée. Ils engagent les jeunes et leurs parents dans un projet de soin coconstruit, intégrant les différents interlocuteurs, et offrent un accompagnement (case management) pour répondre aux besoins spécifiques des personnes en « âge de transition », qu’ils soient médicaux, sociaux ou éducatifs. Ces programmes permettent aussi d’assurer une continuité de l’accompagnement à un âge souvent marqué par les changements et les ruptures. Enfin, ils ont montré leur efficacité en termes de rétablissement, de pronostic, et même sur le plan économique.

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La France a pris du retard dans ce domaine, mais les premières initiatives montrent la faisabilité de telles stratégies. Le réseau Transition a commencé un travail de coordination des initiatives, de mise à disposition d’outils et de formations. Adossé au réseau, le programme PsyCARE pour une « psychiatrie préventive et personnalisée » est un projet global incluant des outils facilitant le repérage, la construction de stratégies de soins et l’accompagnement personnalisé.

En partenariat avec les associations d’usagers, il a permis en particulier le développement du site Santepsyjeunes.fr, qui propose au public une information, des témoignages et des outils de communication, ainsi qu’une cartographie des premiers centres d’intervention précoce du réseau Transition.

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Le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, a fait part, vendredi 3 mars, de cinq priorités « visant à lever les freins qui ralentissent certaines actions de
la feuille de route “Santé mentale et psychiatrie”. Au premier rang de ces actions : le
renforcement de la promotion du bien-être mental, de la prévention et du dépistage
précoce de la souffrance psychique, particulièrement chez les enfants et les jeunes ».

Ces déclarations du ministre sont porteuses d’un réel espoir. Pour ne pas décevoir cet espoir, il y a urgence à soutenir, à l’échelle nationale, le développement coordonné de ces nouvelles pratiques afin que l’ensemble du territoire bénéficie de services de détection et d’intervention précoce à l’âge de transition entre adolescence et âge adulte : un âge à risque psychique, mais un âge crucial dans la construction de la trajectoire de vie.

Pr Marie-Odile Krebs, psychiatre, Inserm, université Paris Cité, CJAAD GHU Psychiatrie et neurosciences, coordinatrice du réseau Transition, RHU PsyCARE ; Pr Vincent Laprevote, psychiatre, université de Lorraine, centre psychothérapique de Nancy ; Pr Michel Walter, psychiatre, université de Bretagne Occidentale, CHU de Brest ; Dr Christophe Lemey, psychiatre, université de Bretagne Occidentale, CHU de Brest ; Dr Frédéric Haesebaert, psychiatre, université Lyon-I, centre hospitalier Le Vinatier ; Pr Renaud Jardri, psychiatre pour enfants et adolescents, université de Lille-CHU de Lille ; Pr Eric Fakra, psychiatre, université Jean-Monnet, CHU de Saint-Etienne ; Dr Julie Bourgin, psychiatre pour enfants et adolescents, université Paris-Saclay, GHNE Orsay ; Pr Sonia Dollfus, psychiatre, université de Caen Normandie, CHU de Caen ; Dr Juliette Martin, psychiatre, centre d’intervention précoce, centre hospitalier La Chartreuse, Dijon ; Dr Marie-Cécile Bralet, psychiatre, CRISALID-HDF ; Dr Trang Ton, psychiatre, JENESIS, CHI Clermont de l’Oise ; Dr Marion Chirio-Espitalier, psychiatre, CReHPsy des Pays de la Loire, DIPPE (Dispositif détection et intervention précoce psychoses émergentes) ; Pr Diane Purper-Ouakil, psychiatre pour enfants et adolescents université de Montpellier, CHU de Montpellier ; Dr Gilles Martinez, psychiatre, Nineteen, GHU Psychiatrie et neurosciences ; Pr Nematollah Jaafari, université de Poitiers, CHU Henri-Laborit ; Dr Emmanuel Chevallier, psychiatre, Innovation numérique ; Lydie Mathevet, coordinatrice du réseau Transition ; Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) ; Dominique Willard, psychologue, responsable du cluster ProFamille Ile-de-France ; Dominique Deffis, collectif PromesseS ; Fabienne Blain, collectif Schizophrénies ; Victoria Leroy et Maxime Perez-Zitvogel, association La Maison perchée.

Le Monde